F. Lutter contre l'oisiveté
Le combat avec ses exigences quotidiennes étant terminé, l'oisiveté envahi très rapidement les hommes de troupe. Et l'oisiveté militaire étant source de certains débordements, le sport permettait d'occuper les soldats.
Le rédacteur du New England in France, 1917-1919, A history of Twenty-Sixth Division USA1, décrit en quelques pages les problèmes liés aux camps d’attente. Pour lui, deux soucis majeurs se présentent : comment garder les hommes occupés et éviter les débordements ? Comment maintenir un bon moral ? D’autant plus que certains régiments se sont retrouvés sans leur matériel de guerre. La crainte principale est que l’oisiveté amène des problèmes de délinquance.
Une partie du temps sera consacrée à l’éducation : écriture, lecture, calcul et histoire. Même si l’intention était louable, l’accueil n’a pas toujours été à la hauteur ; les fournitures scolaires manquaient et l’enthousiasme n’était pas universellement répandu. Pour les officiers et certains hommes, on propose des cours dans certaines universités : Rennes, Lyon, Toulouse, la Sorbonne, universités anglaises, etc. Et le YMCA ouvre sa propre université à Beaune.
Parallèlement les hautes autorités militaires préconisent la création d’activités de loisir : sport, théâtre, bibliothèque, cinéma, danse, concerts, etc. Ces choses devant être encadrées par les chefs de groupe. Toute l’organisation d’une division fonctionne en grande partie sur la mise en place de ces activités : gérer l’organisation des épreuves sportives, préparer des activités avec le YMCA, organiser les photographies officielles, etc.
D’ailleurs la 26th Division2 se trouve très vite confrontée à la réalité du terrain. Il était prévu des exercices de tir à Mayet et à Saint-Biez-en-Belin. Mais le manque de matériel et les pluies hivernales continues ayant rendu les lieux impraticables font que les hommes n’ont pas pu s’occuper aux exercices militaires. C’est la revue du général Pershing prévue pour le 19 février qui permet aux hommes d’avoir une activité régulière. Il faut se rendre entre Écommoy et Mayet sur un terrain en creux au milieu des pinèdes afin de bien préparer l’exercice.
1 Emerson Gifford Taylor, New England in France, 1917-1919, A history of Twenty-Sixth Division USA, Houghton Mifflin Company, 1920
2 Emerson Gifford Taylor, New England in France, 1917-1919, A history of Twenty-Sixth Division USA, Houghton Mifflin Company, 1920, p. 296-297
Dans les camps, il faut attendre le printemps et le retour des beaux jours pour que les activités sportives puissent se développer. Au Forwarding Camp, les joueurs de base-ball vont organiser de nombreuses parties ; l'arène pour la boxe peut accueillir jusqu'à 25 000 spectateurs. Le YMCA estime que dans ce camp, environ 500 000 hommes ont pratiqué football américain, football, piscine, volley-ball, lutte, tennis, athlétisme, etc. pendant les mois de mai et juin 19191. Des championnats de boxe sont organisés sur différents sites sarthois.
En mars 1919, se déroule au Mans une compétition d'athlétisme mais aussi dans d'autres camps tel celui de Parcé2. Cela permet à la compagnie E du 308th Infantry, installée à Avessé, de consacrer les après-midi à la préparation sportive3. Entre les 10 et 12 mars 1919, avec un temps magnifique et en présence du général Summerall, un grand rassemblement sportif se tient à Écommoy. On y mélange des sports classiques (boxe, football, football américain, etc.) et des exercices militaires (marche de dix kilomètres sur route, courses avec des masques à gaz, etc.). Quelques jours plus tard, les 15 et 16 mars 1919, la 77th Division organise ses jeux à Sablé en présence du général Alexander. D'autres compétitions sont également organisées au Classification Camp les 2 et 3 mai 19194 dans un stade d'athlétisme tout neuf.
1Summary of service YMCA in the Embarkation Center, From december 1918 to july 1919, The Arcady press and mail advertising Co, Portland, 1920, p. 26
2History of the 306th Field Artillery, The Knickerbocker press, New York, 1920, p. 69
3The history of company E 308th Infantry, The Knickerbocker press, New York, 1919, p. 97
4Summary of service YMCA in the Embarkation Center, From december 1918 to july 1919, The Arcady press and mail advertising Co, Portland, 1920, p. 40
Dans la première quinzaine de mai 19191, une grande rencontre de tir est organisée au camp d'Auvours (Belgian Camp)2 et rassemble 3500 participants. Le général Pershing viendra remettre les récompenses aux vainqueurs. Entre les 27 et 29 mai 1919, une rencontre sportive va réunir plus de 2000 athlètes au Mans3 et attirer plusieurs milliers de personnes y compris des français. Ces rencontres sportives vont en quelque sorte être la répétition des Jeux Interalliés qui vont se dérouler en région parisienne dans ce que les Américains nommeront le « Pershing Stadium » et dureront du 22 juin au 6 juillet 1919, clôturant ainsi la présence américaine sur le sol français4.
Mais ces pratiques sportives se font aussi lors de manifestations plus restreintes. Ainsi à Avessé, le samedi 1er mars 1919 se déroulent des matchs de base-ball entre différentes compagnies. C'était pour la population locale une nouveauté et l'occasion pour les américains de faire découvrir leur sport national5.
A Malicorne, le 305th monte également son équipe de base-ball : « Dans la soirée du 11 février [1919], le 305th est entré dans Malicorne, une ville de poterie sur la belle Sarthe. Les gens étaient assez différents de ceux d'Arc, mais après un certain temps ils ont appris à aimer les Américains. Là nous sommes restés jusqu'au 17 avril, faisant des manœuvres, étant examinés et inspectés, et chassant les poux insaisissables, attendant impatiemment le départ pour Brest. Le temps était suffisamment agréable pour nous permettre de monter une équipe de base-ball qui a achevé victorieusement la saison en étant invaincue6. »
1 United States Army in the World War, 1917-1919, bulletins, GHQ, AEF, volume 17, Center of military history, United States Army, Washington, D.C., 1992, p. 241
2Johnson et Brown, Official athletic almanac of the American Expeditionary Forces, 1919, p. 86-87
3Johnson et Brown, Official athletic almanac of the American Expeditionary Forces, 1919, p. 85
4Thierry Terret, The military « Olympics » of 1919, Journal of Olympic History 14, août 2006.
5The history of company E 308 Infantry, The Knickerbocker press, New York, 1919, p. 99
6Charles Wadsworth Camp, History of the 305th field artillery, The Country Life Press, New-York, 1919, p. 288
Des bibliothèques sont aménagées sur les sites qui accueillent des soldats américains. Une fut construite au Mans et l'autre sur le Forwarding Camp1. Des films sont diffusés quotidiennement et des soldats se produisent sur scène. Il faut absolument que les hommes soient occupés en attendant l'embarquement. Ainsi environ 450 000 hommes vont fréquenter l’auditorium du Forwarding Camp2.
Des spectacles permettent de tromper l'ennui. Le 13 mars 1919, la compagnie E du 308th Infantry quitte Avessé pour occuper un nouveau cantonnement à Saint-Ouen-en-Champagne. Le lendemain, la compagnie assiste à une représentation au château de la Roche (commune de Chevillé). Comme souvent, c'est un homme déguisé en « demoiselle parisienne » qui présentait divers titres dont la célèbre « The rose of no man'land » qui fut écrite en hommage aux infirmières de la Croix-Rouge. Et le rédacteur de préciser que les costumes avaient été achetés à Paris et offraient un fort contraste avec la couleur kaki de l'assemblée3. Noël 1918 a été l’occasion pour les soldats américains d’offrir un spectacle aux populations locales. A Écommoy, le YMCA et les soldats du 329th Infantry présentent un spectacle montrant un Noël traditionnel à la cour anglaise. Puis 600 enfants de la région reçoivent devant un énorme sapin de Noël des cadeaux de la part des américains : argent, cadeaux achetés à Paris, bonbons, cigarettes et tabac4.
Les spectacles du Mans organisés par le YMCA sont connus et très attendus. Les soldats de la compagnie G du 317th Infantry, qui sont en stationnement à Requeil, font état de leur impatience ; ils espèrent pouvoir se rendre prochainement au Mans. Pour beaucoup d’entre eux, c’est une chose qu’ils ne connaissent même pas aux États-Unis car venant de zones rurales5.
1US Army in the World War, vol. 15, 1991, p. 499
2Summary of service YMCA in the Embarkation Center, From december 1918 to july 1919, The Arcady press and mail advertising Co, Portland, 1920, p. 23
3The history of company E 308 Infantry, The Knickerbocker press, New York, 1919, p. 101
4Summary of service YMCA in the Embarkation Center, From december 1918 to july 1919, The Arcady press and mail advertising Co, Portland, 1920, p. 166
5Overseas diary company « G » 317th Infantry, France June 1918 – June 1919, p. 17
Pour d'autres ce sont les études. Ainsi neuf hommes du 103rd Field Artillery basé à Pontvallain sont envoyés à l'Université de Poitiers pour une période quatre mois.
Il y avait également au Mans rue de la Paille un édifice appartenant à une communauté religieuse qui accueillait dans des salles de lecture et de repos des soldats. Il y avait également un autre lieu qui avait un certain succès rue Saint-Dominique (actuelle rue Claude Blondeau). C’est là « que les militaires ont trouvé un petit coin de paradis. Un grand bâtiment spacieux, merveilleusement meublé avec de lourds tapis moelleux dans lesquels vous perdez vos pieds, des fenêtres ombragées de jolis rideaux et des murs recouverts de miroirs et des études d'art. C'était comme à la maison … Un grand piano à queue aux tons fins était à la disposition des hommes. Des petites tables servaient aux soldats pour écrire et il y avait toujours des fournitures de qualité. Le fait est que les salles de bien-être et de secours de la Science chrétienne au 13 rue Saint Dominique étaient l'un de ces endroits où un soldat voulait nettoyer ses chaussures à l'extérieur et retirer son chapeau en entrant dans la porte.
L'une des choses délicieuses de cet endroit, qui était si populaire auprès des garçons, était le calme qui y régnait. Il n'y avait pas de bruit, pas de brouhaha et on pouvait passer quelques heures dans la salle de lecture sans être dérangé … »1.
1The Christian Science War Relief Committee, Christian Science war time activities, Boston, 1922, p. 198
Les accidents sont assez fréquents. Par exemple, le 140th Infantry Regiment arrive au Belgian Camp en mars 1919. On y souligne encore une fois les agréables conditions de vie ; mais les soldats s’occupent comme ils peuvent. Ainsi le 21 mars 1919, le soldat Michal démonte le détonateur d’un obus afin de fabriquer un souvenir comme il avait l’habitude de faire. Mais le détonateur explose, John Michal est transporté à l’hôpital où il décède quelques heures plus tard1.
En avril 1919, plusieurs baraques brûlent au Belgian Camp et les couleurs du 138th Infantry ne peuvent être sauvées2.
1Edwards (Evan Alexander), From Doniphan to Verdun: the Official History of the 140th Infantry, Lawrence, Kansas : The World Company, 1920, p. 139
2Fels (Daniel M.), History of "A" Company, 138th Infantry, St. Louis, Woodward & Tiernan Printing Co., 1919, p. 77
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