H. Le rôle des organisations
On a également des organisations américaines qui arrivent en France pour s'occuper des soldats : le YMCA, la Croix Rouge américaine, The Knights of Columbus (organisation catholique née en 1882 aux États-Unis), The Jewish Welfare Board, et The American Library Association. Après l’Armistice, elles vont devoir gérer l’attente des soldats ; le rabbin Lee J. Levinger1 nous dresse un état des lieux : « Les trois mois d’attente avaient été plus durs à bien des égards que les mois précédents de guerre. L’intérêt pour notre mission militaire avait disparu ; les hommes avaient peu de distractions et beaucoup de travail pour occuper leur temps. Nous avions très peu de motivations sportives ou éducatives, du fait de notre attente constante d’un départ anticipé. Le service postal était souvent mauvais, surtout pour les hommes qui avaient été transférés à plusieurs reprises. La solde était peu fiable surtout lorsqu’un homme avait été transféré ou envoyé à l’hôpital et que ses dossiers avaient été perdus ou mélangés. Et l’hiver français est une saison pluvieuse, avec parfois des journées de grand froid. Il n’est pas étonnant que les soldats aient été dégoûtés de la France, de la guerre, de l’armée et de tout le reste. Au milieu de cette irritation croissante, leur phrase favorite est devenue : ‘‘La petite Amérique me suffit’’.»
1Lee J. Levinger, A jewish chaplain in France, The MacMillan Company, New-York, 1921, p. 64
Dans les jours qui suivent l’entrée des États-Unis dans le conflit, le Jewish Welfare Board est créé pour apporter de l’aide aux soldats de confession juive. Il va implanter en Sarthe divers centres dont celui du Mans qui sera le plus important ; il est à noter d’ailleurs que c’est peut-être la première fois que la ville voit une si importante structure juive installée en ville1. Le quartier général était au 7 rue Montauban et l’accueil des soldats se faisait au 26 rue Chanzy au Mans depuis le 23 novembre 1918. Il y avait aussi une salle au 22 rue de l’Étoile. On y accueille chaque jour des centaines de soldats, en soirée la semaine et toute la journée le week-end, pour une collation et des activités variées (spectacles, offices, concerts, etc.). Le JWB était également présent à Écommoy où il occupait une salle louée au notaire de la ville avec scène et système d’éclairage, à Poillé, Sablé, Brûlon, Noyen, Cérans-Foulletourte.
L’organisation intervient dans l’aide aux soldats2 : petits achats à faire en ville, récupération des informations sur la situation de soldats issus de la même famille, conseils pour éviter de rester en Europe dans l’armée d’occupation, problème de versement de solde, etc. Le JWB recherche également les soldats de confessions juives tués au front et de retrouver leurs tombes. Il s’agit souvent d’un véritable travail d’enquête mené par les rabbins des divisions et par l’officier chargé des funérailles.
Un des événements marquants pour le JWB fut l’organisation de la Pâque juive3 (14 au 16 avril 1919). Il fallait accueillir plus de mille soldats venant de différentes divisions et obtenir les ingrédients alimentaires pour commémorer la fête religieuse. Outre la partie purement confessionnelle au théâtre municipal, les autres activités proposées consistaient en pièce de théâtre, lecture, cinéma et même combat de boxe.
1The Reform Advocate, 15 février 1919, p. 46
2Lee J. Levinger, A jewish chaplain in France, The MacMillan Company, New-York, 1921, p. 62
3Lee J. Levinger, A jewish chaplain in France, The MacMillan Company, New-York, 1921, p. 77-80
Le YMCA va jouer un rôle important dans la mise en place d'activités1. Son siège au Mans est alors au 71 de la rue Chanzy dans une bâtisse qui existe toujours et faisant l'angle avec la rue de la Fuie. L'organisation va envoyer de nombreux personnels (plus de 600) qui se répartissent dans différents secteurs. Ainsi Alice Caroll qui part pour la France en janvier 1919 pour travailler dans les cantines ; elle réside alors dans les communes de Chemiré-le-Gaudin et de La Flèche où elle installe une structure d'accueil pour les soldats2.
Les 3 et 4 mai 1919, lors des rencontres d'athlétisme au Classification Camp le YMCA distribue 10 000 cônes de glace aux hommes présents3, glace partie de Paris la veille et amenée dans deux convois de camions ayant roulé toute la nuit. L'organisation a été également sollicitée pour refaire toutes les infrastructures sportives et d'accueil dans un camp dévasté par les mauvaises conditions météorologiques jumelées au piétinement de dizaines de milliers de soldats.
Ces organisations vont aussi gérer les problèmes financiers des soldats, en particulier dans le change monétaire puisque les soldats américains avaient difficilement accès aux banques françaises pour effecteur leurs transactions. Les relations ne sont pas toujours bonnes entre les soldats américains et les membres du YMCA. Ainsi lorsque la 26th Division arrive à Écommoy en janvier 1919, les personnels se plaignent du manque de respect en soulignant que cela se passait mieux avec les soldats qui avaient croisé les actions du YMCA sur le front 4.
Le YMCA va créer une école d'architecture au Mans5, école qui ouvre ses portes le 10 décembre 1918. Des sessions de trois semaines permettent à une vingtaine de soldats de suivre des cours. Ils travaillent en ville où la mairie met à disposition une salle de dessin et le musée d'archéologie. La deuxième semaine consistait à découvrir l'architecture rurale de la campagne mancelle. Et la troisième semaine permettait de découvrir des sites plus éloignés tels Chartres, Blois, Tours, etc. A la fin de la session, les travaux étaient présentés au public. Cette école était sous la direction d'Ernest Coxhead, architecte né au Royaume-Uni en 1863, mais qui a migré à Los Angeles en 1886 et a ensuite exercé à San-Francisco.
A Noyen, le 306th F.A. trouve que le YMCA a été très efficace avec l'installation d'une cantine et d'un théâtre, et qui remercie le travail effectué par trois demoiselles américaines, Marian Dean, Lucille Waiters et Adele Winston qui dépendaient du Jewish Welfare Board6.
Au Belgian Camp, les Y Girls luttent aussi contre l'inoccupation des soldats qui les mène parfois vers l'abus d'alcool. Dans le Newark Union-Gazette un article retrace le parcours de Helen M. Spear, jeune fille qui avait travaillé pour le YMCA en France. Elle nous rapporte qu'à Auvours, elle passe une partie du temps à écouter les soldats afin de les occuper. Son discours consistait à les détourner des méfaits de l'alcool et à les convaincre de ne plus boire7 en leur lisant des textes religieux.
Un homme a joué un rôle important dans l'efficacité du YMCA : Alfred Bookwalter. Katherine Mayo relate dans son ouvrage l'arrivée de cet homme, au début février 1919, et les changements que cela amène sur la vie des soldats américains8. En une quinzaine de jours, il réorganise les campements et améliore les conditions de vie des militaires. Sur la place des Jacobins, une nouvelle structure est édifiée en une journée et demie. Au Forwarding Camp, il met toute son énergie pour éliminer l'impact de la boue. On met également en place une tournée à l'aide d'un camion et de deux ou trois filles du YMCA qui livreront aux soldats des beignets, des tartes et des gâteaux. Une quinzaine de jeunes femmes formeront le « Dancing Unit » en se déplaçant avec un piano et un groupe de musiciens. C'est un travail assez difficile pour ces jeunes femmes qui doivent donner l'impression de s'amuser tout en enchaînant la tournée des camps.
1On trouvera des très nombreuses informations sur l'activité du YMCA en Sarthe dans : Summary of service YMCA in the Embarkation Center, From december 1918 to july 1919, The Arcady press and mail advertising Co, Portland, 1920
2 Rose Long Gilmore, Davidson County women in the world war, 1914-1919, Foster and Parkes, Nashville, 1923, p. 455
3Summary of service YMCA in the Embarkation Center, From december 1918 to july 1919, The Arcady press and mail advertising Co, Portland, 1920, p. 40
4Summary of service YMCA in the Embarkation Center, From december 1918 to july 1919, The Arcady press and mail advertising Co, Portland, 1920, p. 166-167
5Alfred E. Cornebise, Soldier-Scholars, Higher Education in the AEF, 1917-1919, American Philisophical Sociéty, 1997, p. 104-105
6History of the 306th Field Artillery, The Knickerbocker press, New York, 1920, p. 71
7The Newark Union-Gazette, volume XLVII, n°49, 6 décembre 1919
8Katherine Mayo, The damn Y, Houghton Mifflin Co, Boston et New-York, 1920, p. 299-301
On pourrait également citer le sergent Gueruel1 du 320th Infantry qui adresse un courrier à Hugh D. Boyle, secrétaire du Knights of Columbus, installé à Saint-Ouen-en-Belin, pour le remercier : « Le travail effectué par votre organisation n'a été surpassé par aucune autre organisation de bien-être de l'A.E.F. Nous avons reçu de grandes quantités de bonbons, de tabac à chiquer et à fumer, de cigarettes, de matériel de lecture et d'écriture, d'articles de sport, etc. Nous n'avons pas reçu de tels avantages de la part d'autres organisations de bien-être ».
L’action des membres du Knights of Columbus portait aussi sur les conditions d’hygiène. Dans les baraques installées par le mouvement, on pouvait trouver des douches et des baignoires. Mais il gérait aussi les aménagements de confort : salles de lecture, pianos, projection de films, etc. Et bien sûr les membres des Knights of Columbus assuraient de pouvoir pratiquer le service religieux : messes, confessions, etc2.
1 Maurice Francis Egan, John B. Kennedy, The Knights of Columbus in Peace and War, Volume II, New Haven, Connecticut, 1920, p. 26
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