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31 octobre 2024 4 31 /10 /octobre /2024 11:09

LE SITE

L’église d’Athenay est une ancienne église paroissiale rattachée aujourd’hui à la commune de Chemiré-le-Gaudin. Elle se situe au centre du hameau et sur le cadastre de 1809, le cimetière occupe la partie sud ouest devant le bâtiment. Il reste d’ailleurs une croix (inscription MH) datée du 16ème siècle comme dernier témoignage.

Vue générale du village d'Athenay

Vue générale du village d'Athenay

Athenay, Cadastre 1809, B

Athenay, Cadastre 1809, B

Croix du cimetière (XVIème siècle)

Croix du cimetière (XVIème siècle)

La mention la plus ancienne remonte à la seconde moitié du 11ème siècle (ecclesia de Attiniaco1) dans une donation à l’abbaye Saint Vincent et l’église est déjà placée sous le vocable de la Vierge Marie. Vers 1330, on parle toujours de l’ « ecclesia de Attenay2 ». En 1405, on utilise l’expression « capella de Athenay3 ». Le statut de la paroisse a changé ; elle était rattachée au doyenné de Vallon jusqu’au 15ème siècle date à laquelle Athenay devient succursale de Chemiré.  En 1768, elle redevient paroisse. Puis elle est rattachée à Chemiré-le-Gaudin le 14 décembre 1809. On profitera de ces quelques lignes pour tordre le cou à une étymologie empirique qui voulait édifier les origines de l’église sur un temple dédié à Athéna.

1Abbé Robert Charles et le Vicomte Menjot d'Elbenne, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Vincent du Mans, Société historique et archéologique du Maine. 1886-1913, p. 276

2Auguste Longnon, Pouillés de la province de Tours, Ed. C. Klincksieck, Paris, 1903, p. 72

3La Province du Maine, XXII, 166

Vue de l'église d'Athenay

Vue de l'église d'Athenay

Carte postale ancienne

Carte postale ancienne

LA NEF

La nef est la partie la plus ancienne de l’église. Le mur repose sur des fondations réalisées avec des pierres de différentes natures et de différents modules. A environ un mètre de hauteur commence le petit appareillage de calcaire (les roussards sont très rares) ; trois baies romanes se trouvent au sommet mais semblent appartenir à un état postérieur (peut-être charnière Xè/XIè s.). Le sommet de ces fenêtres est composé d’un linteau échancré sur lequel sont gravées des incisions droites rayonnantes. Ensuite on les a comblées avec du mortier pour donner l’illusion d’un arc composé de claveaux. Cette technique est connue sur plusieurs monuments romans du Maine. C’est le cas des meurtrières du donjon de Sainte Suzanne (Mayenne) et de celles de l’église de Vezot (Sarthe), pour ne citer que deux exemples. L’ouverture du milieu est réalisée entièrement en roussard alors que les deux autres utilisent le roussard et le calcaire ; mais la composition est la même pour ces deux fenêtres : le bas est en roussard et le sommet en calcaire.

Mur nord de l'église

Mur nord de l'église

Fenêtre romane du mur nord

Fenêtre romane du mur nord

Fenêtre romane du mur nord

Fenêtre romane du mur nord

On peut s’interroger sur la construction de ce mur. Il semble que les meurtrières soient construites lors d’une deuxième phase (l’appareillage parait différent, l’angle entre le mur et la façade est chaînée sauf dans la partie haute où on a l’impression de voir un mur). Le mur nord pouvait sans doute être sans ouverture à l’origine. C’est le cas de la chapelle Saint Fraimbault à Saint Georges de la Couée (Sarthe). Selon Alain Valais1, cette partie de l’édifice et le mur ouest pourraient appartenir à un ancien édifice romain.

 

Le mur sud est plus récent. Il montre clairement un appareillage différent (opus incertum) mais qui semble réutiliser les matériaux de l’état antérieur. Deux fenêtres, d’époque différentes, permettent un meilleur éclairage de l’intérieur de la nef et peut-être des fonts baptismaux. La plus haute doit être la plus ancienne. Pourquoi a-t-on refait ce mur sud ? La question reste posée puisqu’on ne peut guère envisager un agrandissement. En effet la lecture de l’appareillage de la façade ne montre pas un élargissement de la nef. Les fondations sont différentes du mur Nord et sont composées de gros blocs de roussard, calcaire et grès. Y a-t-il eut un effondrement ? En regardant les fissures existantes, on peut l’envisager.

1Alain Valais, Les églises rurales du premier Moyen Âge (Ve/XIe siècle) dans l'ancien diocèse du Mans et à ses confins Volume 5 : catalogue des notices des églises de la Sarthe, Thèse Université Paris Nanterre, 2021, p. 20

Mur sud de l'église

Mur sud de l'église

La porte sud qui ouvrait sur le cimetière laisse apparaître une tentative de décor qui joue sur les couleurs des roussards et des calcaires. Le montant droite et l’arc alternent les deux matériaux ; mais le montant gauche est entièrement en calcaire. En comparant le portail ouest et la porte sud, on peut imaginer une construction à la même époque.


 

La façade ouest a connu quelques modifications. La porte actuelle date d’un état postérieur à l’édification de la nef. On observera à environ trois mètres au dessus du sol un lit d’arrêt de la phase de construction. Les éléments les plus remarquables sont un décor en sablier réalisé en roussard (sur 7 rangs) alors que le reste de la façade est composé de calcaire blanc. Un sablier se situe au dessus du portail, les deux autres sont de chaque côté mais il ne semble pas avoir de symétrie dans l’organisation du décor. Cette partie de l’édifice est à priori contemporaine du mur nord.

 

On remarque aussi une augmentation de la pente du toit puisqu’on peut voir une reprise de la maçonnerie mais toujours avec un appareillage cubique ce qui semble indiquer une modification assez rapide après l’édification de la nef.

Les fissures visibles sur la façade et sur la partie ouest du mur nord trahissent une certaine instabilité du terrain.

La façade ouest de l'église

La façade ouest de l'église

Un élément de décor sur la façade ouest

Un élément de décor sur la façade ouest

LES CHAPELLES

Les chapelles ont été ajoutées plus tard. Le mur ouest de la chapelle nord porte une date sur l’enduit au sommet du mur près du chaînage. Il semble que l’on puisse lire 1678. Mais cela permet de dater l’enduit et non la chapelle. L’appareillage est composé de pierres calcaires allongées (jusqu’à environ 40 cm). Le chaînage est dominé pour les 2/3 par les roussards qui sont dans la partie basse alors que les blocs calcaires se situent dans la partie haute. Seule une baie placée au nord assure l’éclairage.

 

La chapelle sud ne semble pas avoir été construite en même temps que la chapelle Nord. Le chaînage d’angle n’est réalisé qu’avec des blocs calcaires. On remarque des traces d’un faux appareillage dessiné sur l’enduit frais. Par contre la technique de construction reste la même ce qui tend à prouver que même si ces chapelles n’ont pas été élevées lors d’un même chantier, elles ont dû se suivre dans un temps relativement proche.

 

Les grilles métalliques des baies ne sont pas datées mais sont toutes réalisées de la même façon (nef, chapelles).

Chapelle nord et sacristie

Chapelle nord et sacristie

Chevet de l'église

Chevet de l'église

LA SACRISTIE

La fenêtre de la sacristie porte une date 1670 ainsi que deux initiales « M » et « MO ».

Inscription sur le linteau de la fenêtre de la sacristie

Inscription sur le linteau de la fenêtre de la sacristie

DATATION DE L’ÉGLISE

La technique des claveaux simulés des meurtrières, le petit appareillage cubique sont dès éléments qui tendent à fournir une datation remontant au 11ème siècle pour la partie la plus ancienne de l’édifice. On sait par les textes que la paroisse existait déjà vers 1050 et une datation autour de cette période parait cohérente.


 

Il est possible qu’au 13ème siècle, il y ait eut la réfection du mur sud et la création des deux portes. C’est sans doute à cette époque qu’il faut rajouter la construction du chevet actuel.

 

Deux dates sont inscrites sur l’église ce qui permet d’établir une chronologie relative entre certains éléments. Il semble qu’au 17ème siècle une campagne importante de travaux ait été réalisée pour remettre en état (ou en valeur ?) le bâtiment. C’est peut être  à cette époque qu’il faut rattacher l’adjonction des chapelles. En tout cas, ces chapelles ne peuvent pas être postérieures à 1670 car la sacristie est collée et non chaînée avec les chapelles

 

Alain Valais dans sa thèse1 propose la chronologie suivante pour l’édifice roman :

1. un édifice romain avec des décors géométriques qui est réemployé pour devenir une église (époque mérovingienne sans doute).

2. une transformation avec un rehaussement des murs au Xème siècle ou au XIème siècle avec la création des fenêtres romanes toujours visibles aujourd’hui sur le mur nord.

3. un portail ouest reconstruit au XIIème siècle.

1Alain Valais, Les églises rurales du premier Moyen Âge (Ve/XIe siècle) dans l'ancien diocèse du Mans et à ses confins Volume 5 : catalogue des notices des églises de la Sarthe, Thèse Université Paris Nanterre, 2021, p. 20

L’INTÉRIEUR DE L’ÉGLISE

L’intérieur de l’église d’Athenay garde un aspect authentique dû à sa moindre fréquentation depuis le début du XIXème siècle.

 

L’ensemble statuaire est assez riche et donne une bonne idée des figures qui étaient adorées dans l’église. La plupart des terres cuites datent du XVIIème siècle. On y trouve entre autre une éducation de la Vierge, un saint Hyacinthe de Cracovie, un saint Joseph, un saint Blaise, un saint Michel, etc. On sait ainsi qu’en juin 1711, trois figures de la Vierge, d’Élisabeth et de Joseph sont offertes à la paroisse pour orner le retable principal1.

Mais d’autres éléments particuliers se trouvent dans l’église : un panneau sculpté en bois représentant l’adoration des rois mages (XVIème siècle) et qui est sans doute le vestige de l’ancien retable, une chaire à précher en bois du XVIIème siècle, un bâton de procession de la confrérie de la Visitation (XVIIIème siècle), des fonts baptismaux du XVIème siècle en calcaire, un tronc ancien (XVIème siècle?), etc.

Il ne faudrait pas non plus oublier une statue polychrome en pierre du XVème siècle représentant une vierge à l’enfant.

On sait aussi qu’une cloche a été baptisée en octobre 17072.

1Registres paroissiaux

2Registres paroissiaux

Vue de l'intérieur de l'église d'Athenay

Vue de l'intérieur de l'église d'Athenay

Adoration des mages, panneau de bois, XVIè siècle

Adoration des mages, panneau de bois, XVIè siècle

Adoration des mages, panneau de bois, XVIè siècle

Adoration des mages, panneau de bois, XVIè siècle

Adoration des mages, panneau de bois, XVIè siècle

Adoration des mages, panneau de bois, XVIè siècle

Bâton de procession (XVIIIè siècle)

Bâton de procession (XVIIIè siècle)

Chaire (XVIIè siècle)

Chaire (XVIIè siècle)

Education de la Vierge (XVIIè siècle)

Education de la Vierge (XVIIè siècle)

Fonts baptismaux (XVIè siècle)

Fonts baptismaux (XVIè siècle)

Retable (XVIIè siècle)

Retable (XVIIè siècle)

Tronc (XVIè siècle)

Tronc (XVIè siècle)

Vierge à l'enfant, XVè siècle

Vierge à l'enfant, XVè siècle

La visitation (XVIIè siècle)

La visitation (XVIIè siècle)

Saint Etienne, saint Michel et saint Blaise (XVIIè siècle)

Saint Etienne, saint Michel et saint Blaise (XVIIè siècle)

L’église d’Athenay est assurément un lieu patrimonial intéressant où il est aisé de se replonger dans le temps.

Eglise d'Athenay (Sarthe)

Eglise d'Athenay (Sarthe)

Eglise d'Athenay (Sarthe)

Eglise d'Athenay (Sarthe)

Eglise d'Athenay (Sarthe)

Eglise d'Athenay (Sarthe)

Eglise d'Athenay (Sarthe)

Eglise d'Athenay (Sarthe)

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4 septembre 2024 3 04 /09 /septembre /2024 12:47

Des traces anciennes laissées par Rigomer dans le Maine

L’église de Souligné-Flacé (de la seconde moitié du Xème siècle pour sa partie la plus ancienne) est dédiée à Rigomer qui aurait vécu à l’époque du roi mérovingien Childebert Ier (511-558), un des fils de Clovis.

Village de Souligné-Flacé (Sarthe)

Village de Souligné-Flacé (Sarthe)

Représentation de Rigomer dans le bréviaire de Langres

Représentation de Rigomer dans le bréviaire de Langres

Pour approcher cet ermite, il faut sans cesse naviguer entre la légende et ce qui paraît plausible. Mais c’est la caractéristique de ces personnages remontant aux premières heures du Moyen-Âge. Il existe tout de même de très rares mentions anciennes du nom de Rigomer.

 

La plus ancienne est dans le testament de l’évêque Bertrand (616) dans lequel il lègue dix solidi (sous d’or) à la basilique au nom de Rigomer de l’autre coté de la Sarthe1, peut-être dans le quartier du Pré qui est le lieu principal d’inhumation des personnages chrétiens importants dont les premiers évêques comme l’évêque Victeur mort en 490 et personnage très vénéré. On y fait encore mention à la fin du VIIIème siècle sous l’évêque Francon2.

L’évêque Aldric aurait, dans le second quart du IXème siècle, établi une série d’autels dans le chœur de la cathédrale du Mans, dont un dédié à Rigomer3. Il y aurait donc à l’époque carolingienne un abandon des sites religieux mérovingiens et un rapatriement des reliques vers la cathédrale, le tout peut-être lié à un réaménagement de l’espace urbain manceau autour de la cathédrale, pôle religieux et politique.

 

A la fin du Xème siècle, Hugues, comte du Maine, fait don au monastère de la Couture d’une villa « sancti Rigomeri de Plano » (Saint Rémy du Val aujourd’hui) et d’une église « sancti Rigomeri de Silva » (Saint Rigomer des Bois aujourd’hui)4.

 

La vie de Rigomer dans le contexte mérovingien

On connaît la vie de Rigomer par une « vita »5. Cette vie de Rigomer a ensuite été reprise dans des écrits postérieurs et avec des analyses ou ajouts. Il faut bien sûr lire les informations de cette « vita » avec tout le recul nécessaire et ne pas la prendre au premier degré.

1G. BUSSON, A. LEDRU, Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, 1901, p. 137

2G. BUSSON, A. LEDRU, Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, 1901, p. 279

3G. BUSSON, A. LEDRU, Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, 1901, p. 304

4Bénédictins de Solesmes, Cartulaire des abbayes de Saint-Pierre de la Couture et de Saint-Pierre de Solesmes, Le Mans, 1881, p. 8

Vie de Rigomer (XIè/XIIè s.)

Vie de Rigomer (XIè/XIIè s.)

On trouve aussi la vie de Rigomer racontée par un moine bénédictin, Pierre, de l’abbaye de Maillezais (Vendée) qui vivait au XIème siècle. Ce moine va, à la demande de l’abbé, écrire un récit sur l’origine de l’abbaye ; le document d’origine a disparu mais il existe encore une copie du XIIème siècle.

 

La tradition dit qu’il serait né dans le nord de l’actuel département de la Sarthe, peut-être dans le village de Saint-Rigomer-des-Bois, où existait une fontaine dite de saint Rigomer et vénérée jadis par les fidèles, à l’orée de la forêt de Perseigne, au sein d’une famille aristocratique, peut-être d’origine franque et pas encore christianisée. Il fut éduqué par un religieux auvergnat1, ce qui positionne ce personnage dans un schéma assez classique pour cette époque. Il est possible que ces religieux auvergnats soient en fait des individus qui fuient la conquête de leur région par Thierry au début dans la première moitié des années 5302. D’autres évoquent Saint-Rémy-du-Val comme étant son lieu de naissance. On remarquera la présence classique de la forêt comme dans beaucoup de « vita »3 ; elle symbolise le monde fermé sur lui-même, un désert, où les idées nouvelles n’ont pas encore pénétré. Par contre, cela ne veut pas forcément dire que ce sont des lieux vides d’hommes ; les traces archéologiques sur l’environnement de la forêt de Perseigne sont assez claires là-dessus.

 

1Pour comprendre les peregrinatio de certains religieux, voir C. DELAPLACE, Ermites et ascètes à la fin de l'Antiquité et leur fonction dans la société rurale. L'exemple de la Gaule, Mélanges de l'école française de Rome, 1992, p. 990 et suivantes

2P. LE MAITRE, Évêques et moines dans le Maine : IVe-VIIIe siècles, Revue d’histoire de l’Église de France, 1976, p. 97

3C. LAFON-DELAPLACE, Paysage forestier et littérature hagiographique de l'antiquité tardive : mythes et réalités du paysage érémitique occidental, Hommes et terres du Nord, 1986, p. 168

Saint Rigomer des Bois (carte XVIIè s.)

Saint Rigomer des Bois (carte XVIIè s.)

Saint Rigomer des Bois (Sarthe)

Saint Rigomer des Bois (Sarthe)

Comme beaucoup d’ermites du haut moyen-âge, il réalise un certain nombre de miracles. Au delà du caractère religieux que l’on peut accorder à ce genre d’événement, on peut aussi y voir la volonté d’imposer la force politique des autorités religieuses dans des territoires qui, à cette époque mérovingienne, étaient un peu déconnectés du pouvoir central, c’est à dire le centre épiscopal de la cité. C’est ainsi qu’il intervient dans un lieu nommé Morifanum, parfois transcrit en Marti Fanum, pour ramener à la foi chrétienne des habitants qui, après leur conversion, détruisent le temple et le remplacent par un édifice chrétien. On dit que cela se situait dans l’actuelle ville de Mamers, mais il semble bien difficile de confirmer cette assertion. Cela n’est pas sans rappeler un épisode semblable de la vie de Julien (Vita Sancti Juliani) où il détruit un temple dédié à Jupiter1 (« Erat autem praedictum idolum juxta vicum Artinis situm, ubi et templum Jovis constructum atque ornatum erat »). Ou encore comment Vigor, évêque de Bayeux (513-537), fait détruire, avec l’appui du roi Childebert, le temple et les idoles du Mont-Phaunus pour installer un monastère et s’appropriant au passage les biens de ce temple2. Ou encore Martin de Tours qui fait aussi remplacer des temples païens et les idoles par des édifices chrétiens3. Il faut dire que la destruction des temples apparaît également dans la vie des empereurs romains puisque la vita Constantini relate la destruction de plusieurs temples sur ordre de Constantin (310-337) pour installer des églises4. Cet aspect évangélisateur est un élément caractéristique de certains ermites de cette époque, ce qui montre à la fois le maintien des religions anciennes dans les territoires éloignés des capitales administratives5 mais également l’adoption de la religion chrétienne par les élites aristocratiques qui entendent bien se reconnaître comme l’autorité en place.

On peut tout de même se poser la question de la véracité de la destruction des temples païens dans les « vita ». Une étude publiée en 2017 concernant la Normandie occidentale offre une piste de réflexion6. Les fouilles archéologiques montrent que le paganisme tend à disparaître dès le IVème siècle et de manière progressive, à priori plus par désintérêt lié aux changements provoqués par la crise du IIIème siècle ; ce n’est qu’un peu plus tard que le christianisme remplace l’ancienne religion. Les temples romains fouillés dans cette région ne montrent pas de traces de destruction mais plutôt un abandon. Il est intéressant de comparer cette chronologie avec la première mention d’une cathédrale au Mans qui n’est attestée que dans les actes du premier évêque historiquement attesté7, Victeur, dans la seconde moitié du Vème siècle8. Peut-être faut-il simplement comprendre les images de destruction comme la lutte entre deux courants de pensée. On manque cruellement en Sarthe de fouilles archéologiques qui couvrent cette période. Le temple de Cherré sur le site d’Aubigné-Racan (72) illustre bien ce questionnement. Le temple a servi de nécropole au haut moyen-âge ce qui semble indiquer que le lieu avait gardé une nature religieuse. De plus, il semble également que l’écroulement du bâtiment soit lié à la récupération des blocs en grand appareil à la base des murs et non à une destruction délibérée d’un édifice païen.

La convocation de Rigomer par le roi Childebert à Meaux est sans doute à analyser au-delà de la simple opposition morale et religieuse.

1G. BUSSON, A. LEDRU, Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, 1901, p. 20

2J. DESHAYES, L’église paroissiale de Saint-Marcouf et l’histoire de l’abbaye de Nantus 2017, p. 2

3A.-M. TAISNE, Parcours et vertus de Saint Martin dans la Vita et les Epistulae de Sulpice Sévère, Rursus, 2008, p. 5

4B. CASEAU, La désacralisation des espaces et des objets religieux païens durant l’Antiquité tardive, dans Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident : Études comparées, 2001, p. 61-123

5N.-Y. TONNERRE, Deux ermites du pays nantais au VIe siècle : Friard et Secondel, dans Corona Monastica, Moines bretons de Landévennec : histoire et mémoire celtiques. Mélanges offerts au père Marc Simon, R, 2004, p. 65-70

6M. ROUPSARD, Du paganisme au christianisme en Normandie occidentale (IVe-Ve siècles) : premiers éléments de synthèse, Annales de Normandies, 2017

7Présent au premier concile des évêques de Gaule à Angers en 453.

8H. MEUNIER, Le quartier canonial du Mans, dans La cathédrale du Mans du visible à l’invisible, 2015, p. 16

Poncé Sur Le Loir (Sarthe)

Poncé Sur Le Loir (Sarthe)

Aubigné-Racan (Sarthe) - mur écroulé du temple romain

Aubigné-Racan (Sarthe) - mur écroulé du temple romain

De son rôle auprès de l’évêque Innocent

La période est caractérisée par une tentative de stabilisation politique en cette zone géographique récemment prise par Clovis juste avant sa mort au début du VIème siècle. Le christianisme est alors peu implanté en dehors du Mans. Dans la ville épiscopale elle-même, la mise en place de nombreux lieux de culte chrétiens traduit sans doute cette volonté de vouloir bien asseoir la religion chrétienne ; n’oublions pas que le baptême de Clovis ne date que d’il y a quelques décennies seulement1.

L’évêque Innocent (532-543) nous est connu par les Actus Pontficum. Jacques Biarne2 signalait que sa biographie est plutôt développée dans les actus contrairement à ses prédécesseurs ; ceci est surtout dû à ses actions concernant l’organisation urbaine. Innocent va agrandir la cathédrale en faisant édifier deux autels dédiés à Marie, à Pierre et un autel principal dédié à Gervais et Protais. Il fait également venir d’autres ermites tel Saint Fraimbault que l’on retrouve dans le secteur de Saint-Georges-de-la-Couée (72) avant d’aller dans le région de Lassay (53).

Il aurait participé au second concile d’Orléans en 533 et au second en 541 au cours desquels est condamné le culte des idoles. On ne peut s’empêcher de faire le lien entre cette mesure et la destruction du temple de « Morifanum » par Rigomer.

1P. LE MAITRE, Évêques et moines dans le Maine : IVe-VIIIe siècles, Revue d’histoire de l’Église de France, 1976, p. 95-96

2J. BIARNE, Les premiers évêques du Mans, depuis les Fastes épiscopaux de Louis Duchesne, dans La foi dans le siècle, 2009 p. 109-119

Sarcophage de Saint Fraimbault (Sarthe)

Sarcophage de Saint Fraimbault (Sarthe)

Ténestine

L’histoire de Ténestine est liée à Rigomer et n’est pas sans poser certaines questions. La jeune fille est l’enfant d’un aristocrate nommé Haregaire et de sa femme Truda qui semblent être restés fidèles au culte ancien, mais sans doute ouverts au christianisme.

Cela commence par la guérison de Truda grâce aux prières et aux huiles saintes ; ce miracle opéré par Rigomer va fortement influencer la jeune fille qui, bien que promise à un jeune homme de même condition qu’elle, va se vouer corps et âme à la religion chrétienne. Cette relation révèle des conflits d’intérêts entre la sphère politique laïque et la sphère religieuse. Ainsi, le fiancé, Sévère, ira jusqu’à la cour de Childebert à Palaiseau pour demander réparation. C’est là encore le lieu de réalisation d’un miracle puisque Rigomer, sommé d’allumer des flambeaux sans l’utilisation de feu, créé une flamme par la prière. Le roi reconnaît alors que les propos tenus contre eux n’étaient que calomnies.

La tradition dit que Childebert leurs fit don de terrains pour y établir leurs cellules. Ténestine s’installa en contrebas de la muraille, dans le quartier de Gourdaine. Quant à Rigomer, il fonde le prieuré de Saint-Aubin, toujours dans le quartier de Gourdaine mais du côté intérieur de la muraille ; mais aussi un prieuré à Souligné-Flacé sur des terres appartenant aux biens religieux de Ténestine.

Ténestine devint la sainte patronne des blanchisseuses du Mans.

Vitrail en l'église de Saint Rigomer des Bois (Sarthe)

Vitrail en l'église de Saint Rigomer des Bois (Sarthe)

Les ermites à l’époque mérovingienne

Rigomer fait partie de cette cohorte d’ermites qui ont propagé le christianisme, à l’époque mérovingienne, dans les campagnes. Ainsi en Sarthe, certains personnages partent dans des contrées plus ou moins reculées au cours du VIème siècle : citons par exemple Léonard dans les Alpes mancelles, Longis dans la région de Mamers ou encore Carilefus dans le secteur de Saint-Calais. Même si l’acte d’évangélisation est indéniable, il s’agit aussi d’une manœuvre politique des évêques qui tentent d’asseoir leur autorité sur des territoires éloignés du palais épiscopal. Il ne faut pas voir ces ermites comme des personnes qui vivent forcément coupées du monde, mais plutôt comme des agents au service d’une autorité politico-religieuse. Nous sommes dans cette première moitié du VIème siècle à un moment où les rois mérovingiens cherchent à contrôler la Gaule en se battant entre héritiers mais aussi contre des peuples voisins. Dans l’ouest, Le Mans occupe alors une place stratégique importante.

Certains travaux présentent également une autre lecture de l’érémitisme. Les recherches de Thomas Jarry1 sur la Normandie débouchent sur l’organisation suivante : des domaines ruraux de certains aristocrates transformés en cellules pour religieux et qu’ils gèrent toujours en tant que domaine rural, ou alors des sites religieux confiés à des ermites pour asseoir la puissance épiscopale, et enfin des moines solitaires mais qui très souvent sont arrêtés par des habitants qui souhaitent profiter de leur présence pour évangéliser un territoire.

On peut d’ailleurs légitiment se poser la question pour Rigomer à Souligné : s’agit-il réellement d’un ermitage ou plutôt d’une terre sur un domaine géré par une communauté religieuse un peu comme il y aura un peu plus tard à Etival-Lès-Le Mans ?

 

Les reliques de Rigomer

A sa mort, le 24 août et à priori à Souligné-Flacé vers 560, Rigomer est ramené au Mans pour être inhumé à Notre-Dame-de-Gourdaine. Mais la chronologie des événements n’est pas très claire. En 838, l’évêque Aldric fait ramener dans la cathédrale les restes de Rigomer et de Ténestine. D’après les travaux de Georges Pon, les reliques de Rigomer arrivent à l’abbaye de Maillezais (Vendée) entre 1015 et 10252. L’église abbatiale n’étant pas encore terminée, les reliques sont installées dans le bras sud du transept. En fait, il semble que les ossements de Rigomer aient servi de monnaie d’échange, moyennant financement, entre Hugues, comte du Maine, et Guillaume, duc d’Aquitaine. L’abbaye de Maillezais ne possédant pas de saintes reliques, Hugues propose d’offrir celle de Rigomer en espérant en retour recevoir les faveurs de Guillaume.

A noter que les reliques de Rigomer sont évoquées dans l’œuvre de Rabelais : « La trouverez tesmoins vieulx de renom et de la bonne forge, lesquels vous jureront sus le bras sainct Rigomé, que Mellusine leur premiere fondatrice avoyt corps feminin jusques aux boursavits, et que le reste en bas estoyt Andouille serpentine, ou bien serpent andouillicque ».

1T. JARRY, Les débuts du Christianisme dans l'ouest de la Normandie, Annales de Normandie, 1998, p. 124 et suivantes

2G. PON , Y. CHAUVIN, La fondation de l'abbaye de Maillezais. Récit du moine Pierre, Centre vendéen de recherches historiques, 2001, p.

Souligné-Flacé (carte postale ancienne)

Souligné-Flacé (carte postale ancienne)

Le mur roman (seconde moitié Xè s.) de l'église de Souligné-Flacé (Sarthe)

Le mur roman (seconde moitié Xè s.) de l'église de Souligné-Flacé (Sarthe)

Morceaux de sarcophages dans le mur roman de l'église de Souligné-Flacé (Sarthe)

Morceaux de sarcophages dans le mur roman de l'église de Souligné-Flacé (Sarthe)

Statue de Rigomer à Souligné-Flacé (Sarthe)

Statue de Rigomer à Souligné-Flacé (Sarthe)

Rigomer ailleurs

Dans le département de l’Orne, l’église de la commune de Colombiers en périphérie nord d’Alençon, est dédiée à Rigomer. Nous sommes seulement à une quinzaine de kilomètres de Saint-Rigomer-des-Bois (72).

Il existe dans le département de l’Essonne, dans la commune de Vauhallan, une église dédiée à Rigomer et à Ténestine. On y trouve une crypte mais qui serait en réalité une création du XIXème siècle par l’abbé Geoffroy, transformant une cave en chapelle souterraine. L’objectif du religieux aurait été de créer un pèlerinage en s’appuyant sur la création d’une église dédiée à Rigomer à Palaiseau par Childebert selon la Vita Rigomeri1.

1P. GILLON, C. SAPIN, Cryptes médiévales et culte des saints en Île-de-France et en Picardie, Presses Universitaires Septentrion, 2019, p. 440

 

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